Le monde en VRAI - Une France et une Europe dans le DENI
LIBRE OPINION de Caroline GALACTEROS :
Donald TRUMP
ou le vertige d'une
Europe en mal d'Amérique.
Arrêtons de critiquer le président américain. Son style décoiffant nous fait oublier que le diagnostic qu'il porte sur le monde est tragiquement juste...
Parfois, zappant désespérément d'une chaîne française à une américaine, on perd l'équilibre, pris d'un rire nerveux proche des larmes devant le caractère tragi-comique des images qui défilent. Que penser en effet, il y a quelques semaines, des manifestations monstres de femmes américaines (et européennes) coiffées de bonnets roses à oreilles félines – jouant lourdement sur le double sens du terme « pussy » – qui défilaient pour assurer le nouveau président américain que ses plaisanteries salaces et machistes lui vaudraient leur haine éternelle et leur vigilance indignée ?
Le respect du sexe faible, mais surtout celui de la sacro-sainte « diversité » américaine qui a fait, il est vrai, ce grand pays – et aussi la fortune électorale des élites démocrates devenues ses porte-parole –, voilà manifestement l'essentiel pour cette population américaine dans sa frange « boboïsée », qui feint d'oublier la brutalité d'un système américain pourtant impitoyable pour les faibles et n'en revient toujours pas de voir à la Maison-Blanche un homme qui méprise ouvertement ses micro-revendications sociétales, veut dépasser le communautarisme fétichisé des Américains pour retrouver le peuple d'Amérique et le remettre au centre du monde. À sa manière certes : radicale, brutale, « cash ». En appelant un chat un chat et sans tourner autour du pot ni proclamer des « valeurs universelles » moins partagées que jamais, mais « en faisant des deals ». En regardant le monde non comme un jardin de roses, mais comme un champ de forces. Ce qu'il est.
Prendre de la hauteur
Les « Pussy » ont finalement quitté la rue. Prenons un peu de hauteur ! Il est pathétique d'observer la viralité du nombrilisme catégoriel d'individus qui se croient en danger parce qu'un homme d'affaires juge en bloc les femmes intéressées et peu intéressantes, et se vante de ses succès faciles. Est-ce vraiment ce qui importe le plus concernant le président de la première puissance mondiale ? Le monde est au bord du volcan, tous les confortables et factices équilibres sont à bas, le Moyen-Orient brûle de rivalités sanglantes, le trio de tête américano-sino-russe cherche de nouvelles règles supportables de coexistence qui vont marginaliser une Europe sidérée et aboulique, la désinformation et la provocation battent leur plein dans chaque camp, la « fabrication de l'ennemi » a l'énergie du désespoir… Et on se demande si Donald Trump va présenter ses excuses aux femmes américaines outrées par sa grossièreté. Un ordre des priorités infantile et très inquiétant.
On peut mieux comprendre d'autres inquiétudes suscitées par le nouveau président américain. Cet homme croit manifestement en « la destruction créatrice ». Par ses déclarations tonitruantes, il précipite la fin d'une « mondialisation heureuse » qui a certes décloisonné la planète – celle du commerce et de la finance – mais aussi érigé d'autres palissades infranchissables pour les moins mobiles, les plus ordinaires, ceux qui ne comprennent rien à l'uberisation de l'économie, à la virtualisation de l'activité ou à la fluidité des échanges. Ceux-là ne voient qu'un résultat à cette irrépressible « marche du progrès » : elle les met au chômage sans grande chance d'en sortir.
Au nom de la souveraineté
Le décret présidentiel sur l'immigration, très maladroit et partial, est de ce point de vue-là une marque de la volonté du président Trump de montrer à ses électeurs qu'il entend stopper ce qu'il considère comme un processus global de repli de la souveraineté américaine. Certes, cette décision n'est que l'accentuation d'un dispositif mis en place par l'administration précédente ; certes, elle épargne les ressortissants des principaux pays suppôts du terrorisme (Arabie saoudite et Qatar). Certes surtout, elle masque mal sa cible véritable et principale, l'Iran – opportunément noyée dans un groupe de sept États visés par le décret. Mais elle manifeste un repositionnement souverain de l'Amérique qui veut lutter contre ses vulnérabilités, notamment sécuritaires.
On aurait pourtant tort de voir là une drastique bascule de la posture américaine vers un protectionnisme frileux. Le nouveau président veut juste renégocier tous les équilibres des forces économiques et financières sur une base plus ouvertement américano centrée, et monnayer plus clairement son soutien militaire ou politique. Cela explique sa mise sous tension, en apparence brouillonne, des diverses alliances traditionnelles de Washington en Asie, mais aussi en Europe. Une Europe qui, à force de nier, par pur dogmatisme, ses frontières, ses identités nationales, son Histoire, ses racines, ses équilibres religieux et ethniques bousculés par la décolonisation et maintenant par des évolutions démographiques et sécuritaires africaines et moyen-orientales, et enfin le besoin de protection de ses peuples, a réduit ces derniers à n'être que des scories indifférenciées d'une immense population multiculturelle. Un agrégat en ébullition, sans haut ni bas, sans référence ni trajectoire, défiant vis-à-vis du politique et de toute autorité, in fine livré au recul démocratique par excès d'égalitarisme.
Et voilà que le chef de l'État à la tête de cette vaste utopie politico-sociale à visée universelle fait descendre tout le monde de son petit nuage, reconnaît la multipolarité stratégique, réhabilite bruyamment les vertus du protectionnisme, dénonce les alliances déséquilibrées, met chacun face à ses responsabilités, appelle à voir l'ennemi principal traditionnel russe comme un possible partenaire stratégique dans un affrontement avec une menace civilisationnelle qu'il juge première, alors qu'en Europe nous la noyons savamment dans de la démagogie électoraliste depuis des décennies.
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Vertige européen
Si l'on peut comprendre le vertige qui saisit les élites européennes et, en l'espèce, françaises, confortablement assoupies sur un lit de certitudes indigentes devant la brutalité de ces alternatives qu'elles n'ont pas voulu voir venir, il ne faudrait pas que cela dure trop longtemps. Car l'enjeu de cette mutation du monde à marche forcée est lourd : il s'agit de (re)donner à la souveraineté son rang de vertu cardinale, non plus en opposition à la renaissance européenne, mais comme socle de celle-ci. L'espoir d'un effacement des États, bénéfique aux individus, est tombé comme un rideau de tragédie sur le cadavre livide d'une utopie. Pékin a déjà saisi la balle au bond. Ironie du sort, ainsi que le président Xi Jinping l'a déclaré avec gourmandise récemment à Davos, c'est la Chine conquérante et sereine qui se pose désormais en protectrice des populations (de consommateurs) et promotrice d'un libre-échangisme débridé dont elle reprend le flambeau en tranquillisant les anciens vassaux américains par une coopération win-win « à la chinoise », insensible mais implacable.
Nous avons perdu tant de temps à courir après des chimères. Les ensembles politiques résilients et résistants sont et seront demain ceux qui ne se nient pas et ne voient pas seulement le monde comme un vaste espace fluide et indifférencié peuplé de zombies déclarés égaux et plus encore équivalents au mépris de leur inscription dans le temps, l'espace, la culture et l'histoire de leurs États respectifs. Dire cela n'est pas se situer dans l'ère de la « post-vérité », mais simplement faire acte d'honnêteté intellectuelle minimale. L'état d'esprit qui consiste à déplorer en litanie le réel au lieu de le considérer comme une source d'opportunités n'est pas digne de l'esprit d'État qui doit animer celui qui entend relever notre pays.
Caroline GALACTEROS
Docteur en sciences politiques
Auditeur IHEDN
Colonel de la réserve opérationnelle
Dirige le cabinet de stratégie Planeting
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